« Papa, je veux entrer à l’armée. » Mon père s’étouffait avec son café, déposant son journal sur la table. « Quoi ? » Je souriais légèrement, sachant parfaitement que cette nouvelle ne plairait que peu à mes parents. Ma décision était prise depuis longtemps, depuis le jour où j’avais vu mon frère s’engageait dans l’armée. Je n’avais pas vraiment de projets d’avenir, je ne m’imaginais pas faire de longues études pour devenir avocate ou quelque chose dans le genre. J’aimais l’action, le contact, et je pouvais retrouver tout ceci à l’armée. « Enfin, Paige, tu sais dans quoi tu t’engages ? Ta mère va en mourir quand elle va l’apprendre. » Évidemment, il exagérait. Pour autant, je savais qu’elle avait toujours souhaité autre chose pour moi. Elle avait pris beaucoup de temps pour avaler la pilule. Mon père avait été bien plus ouvert d’esprit que ma mère. Je pouvais la comprendre, voir ces deux enfants partir en guerre, avec la peur constante de recevoir cette nouvelle qui lui briserait le cœur pour toujours. À 21 ans, je m’engageais dans l’Air Force. Ce choix de vie n’avait pas vraiment surpris mon entourage au fond. J’avais toujours été vu comme Paige, la fille un peu garçon manqué, bien que davantage féminine avec les années. Ma force de caractère, mon ambition, faisait que j’avais rapidement monté les grades, devenant Captain de l’Air Force. J’étais tellement ambitieuse que ma vie personnelle était devenue un désert complet. Parce que je refusais d’infliger mon absence à qui que ce soit. La famille, c’était important au sein de l’Armée, mais j’avais toujours tout fait pour éviter de laisser l’amour se mettre en travers de mon ambition. C’était cette même ambition qui m’avait poussée à quitter un civil dont je m’étais attachée. Un civil que j’avais rapidement quitté, pour finalement tomber dans les bras du meilleur ami de mon frère, Cameron. Imprévu, complexe. Il est impossible pour les militaires de sortir entre eux, sous peine de risquer sa propre carrière. Ainsi, nous avions caché notre histoire aux yeux du monde. Une situation compliquée, difficile, qui pourrait rapidement mettre en doute une carrière, dans le sens où, l’Amour peut parfois être plus fort que la vie professionnelle.

Pas de déploiement à ce jour pour moi, me permettant ainsi de profiter un peu plus de ma vie en tant que « civil », malgré la peur constante qui existait en moi depuis quelques temps déjà. Miles et Cameron se trouvaient en mission, tandis que moi, je restais là, comme une idiote, en attendant leur retour. J’avais sans arrêt besoin de mouvements, et devoir attendre me rendait presque folle. L’Air Force n’avait pas besoin de nos services. Je tentais vainement de m’occuper, en allant voir Caitlyn, la sœur de Cameron, ou en faisant le maximum de sport dont j’étais réellement capable. C’était un matin, après avoir fait mon jogging matinal, que mon monde se stoppait brutalement, alors que je voyais cette jeep garée en face de chez moi. Je n’avais jamais eu la peur de voir ce véhicule en face de ma maison. Pour la simple et bonne raison que j’avais toujours pensé que ça n’arrivait qu’aux autres. Retirant mes écouteurs, je me présentais à l’homme qui s’avançait vers moi, d’un pas militaire, le visage sombre. « Votre frère, Miles Stevens, a été tué au cours de sa mission au Yémen. Le secrétaire des Armées m’a demandé de vous transmettre ses profonds regrets et condoléances à vous et votre famille. » Le regard dans le vide, je peinais à me rendre compte de la situation. Jamais je n’avais songé à perdre qui que ce soit. C’était le métier, certes, mais dans ces moments-là, on se dit toujours que ça ne peut pas nous arriver. Relevant ma tête vers l’homme qui s’éloignait, je m’adressais à lui comme à un vulgaire homme. « Et Cameron Asher ? » L’homme se tournait vers moi, sans me répondre. Je n’avais pas une seconde pensée aux conséquences que pourrait causer cette question. Son regard était suffisant, il n’avait pas eu besoin de dire quoi que ce soit. Mon cœur s’était brisé, persuadée à ce moment précis d’avoir perdu les deux êtres les plus chers à mes yeux.

« Cameron, arrête de t’en vouloir. » Depuis qu’il était revenu, les choses n’étaient plus vraiment pareilles entre lui et moi. Je savais qu’il s’en voulait de ne pas avoir pu sauver mon frère. C’était le risque du métier, on le savait tous. Mon frère le premier. On savait dans quoi on s’engageait en décidant de faire partie de l’Armée. Cameron n’était pas surhumain, il n’aurait pas pu sauver mon frère. Et Miles refuserait sûrement que Cameron se laisse autant abattre. Évidemment, Cameron ne m’en parlait jamais, il évitait le sujet. Et je ne cherchais jamais à entrer dans le vif du sujet. Je ne pouvais pas l’obliger à s’ouvrir à moi. Alors je restais là, dans l’ombre, dans le silence. Sa distance venait à me pousser à douter de notre histoire que nous entretenions depuis onze mois. Je doutais de tout. Peut-être était-ce l’épreuve qu’il nous fallait. Voir si notre attachement, notre amour pourrait tenir après ça. Et plus les jours, et semaines passaient, plus je me demandais si Cameron se rendait réellement compte de ce qu’il se passait actuellement. J’avais la sensation de porter deux deuils : la mort de mon frère, et comme le début de la fin de l’histoire entre Cameron et moi. Je l’aimais, même si je ne lui avais jamais dit. Mais je ne supportais plus cette froideur, cette distance entre lui et moi. Pour autant, je me refusais de le quitter. L’Amour ne s'explique pas.