« Kealan ! Kealan ! Tu joues avec moi ? » J'arque un sourcil avant de soupirer. Elle prend un air triste, tord son joli minois dans une moue mi-suppliante mi-boudeuse. Je cède, je cède, je suis faible. Je ferais tout ce que veut la princesse, je suis un putain de faible. « Ok mais j'refuse de jouer à la poupée ! » Elle sourit, prend ma main et l'emporte dans sa chambre. Tant qu'elle pourra sourire, tout ira pour le mieux. Le monde tourne rond, le monde tourne tout court. « Sale chieuse va ! » Elle rigole, elle peut, elle a gagné la bataille. Un sourire étire mes traits et disparaît quand elle sort le service à dînette. « Oh mais c'est nul à chier de jouer à ça » Elle me pointe du doigt l'air autoritaire « Kealan, t'as dit un gros mot ! Je vais le dire à Papa et maman » Elle dit toujours ça mais n'exécute jamais sa menace. Parce que papa il cogne toujours dur, c'est une compétition, plus de bleu et plus il a des points et maman, plus elle se ferme la gueule, plus elle gagne des points. Un couple de gagnant. Yoohoo.

Je m'redresse, lèvres saignée à vif, je crache sur le sol « Bon à rien ! L'armée ? Toi ? T'es qu'une lavette, j'ai honte de dire que tu es mon fils » Ouais, ouais, cause toujours, vieux con. J'prend le sac et passe le pas de la porte. Accroupie dans l'herbe, les mains sur ses oreilles pour ne pas entendre les poings du pater s'enfoncer dans ma chair, ma petite soeur me regarde passer avant de courir me voir « Mon frère, où tu vas ? » Sac sur l'dos, arcade tuméfiée, corps en breloque. « L'armée » Elle secoue la tête la soeurette « Non, j'veux pas ! » Tssk. Tssk. « Rien à foutre » Elle me retient, tire la manche de mon t-shirt « Mais et moi ? » Tssk. Tssk. Je m'arrête « Tu t'en sortiras très bien. Ton père n'a jamais levé la main sur toi et ta mère, tu la tanne quand tu veux. J'reviendrais en permission t'voir jusqu'à là, essaye de rester en vie » Ses ongles s'enfoncent dans le tissu de mon t-shirt « C'est plutôt à moi de dire ça ! ... Reviens en un morceau, mon frère. Si tu reviens pas, j't'en voudrais toute ma vie ! » Wesh. Wesh. Je lui kiss le front et j'dégage le plancher alors que le pater regarde ma silhouette disparaître à la fenêtre. Connard, c'est la dernière fois que tu me foutras une raclée, enfoiré ! Et ta merde verbale, tu la ravaleras.

Elle était belle, je m'en souviens. Le genre de femme fatale, le genre de femme à la beauté fulgurante mais qui ne dure que le temps de la jeunesse. Le genre de femme qui a la terre à ses pieds, qui claque des doigts pour posséder des choses. Avec moi, elle a claqué dans le vide mais à la fin, je me suis retrouvé claqué. Raté le coup du "j'te-baise-et-ciao" Elle a élu domicile dans mes ratures, dans mes fêlures. Elle a squatté, elle, fanatique des hommes en uniforme. J'ai cru que la gamine pourrie par l'argent qu'elle était se contenterait d'un pauvre galeux comme moi mais la vérité un jour ou l'autre nous ait toujours balancé à la figure alors le bail, elle me l'a balancé en pleine gueule. Elle s'est contenté de moi et mes permissions une poignée d'années avant de se lancer à la conquête de d'autres hommes en uniforme, mes frères d'armes. Pute à militaire. En somme ouais. Sauf qu'avec elle, elle a emporté un cadeau de moi. Ou un poison, j'sais plus ! J'sais même plus de nous deux, qui ça a fait le plus chier, sûrement elle, elle l'a porté neuf mois. Ou peut-être moi, parce que du coup, j'me trouve avec le poison cinq années plus tard.

Elle chante, elle chante, ça résonne dans la pièce. J'écoute d'une oreille, bière à la main. « Papa, zé faim » Tssk. Tssk. « Papa mon cul, t'm'appelles Kealan » Elle riposte la gamine. Elle tient de sa conne de mère, elle a un peu de sa tante aussi, sang d'chieuse pure. « Non. T'es mon papa alors c'est papa. » Je claque la langue et lève mon cul de la chaise, je sors un plat congelé et le fous dans le micro-ondes. « Bah tu cuisines pas ? Maman elle dit que les plats conzelés, sé pas cré bon pour la santé » « Bah si t'es pas contente, tu peux retourner chez ta bourgeoise de mère, ça sera avec plaisir » Elle riposte. Oh bordel. Emmerdante. « Non. Je veux rester avec toi, papa » « KEALAN, bordel » Elle rigole et chante à tue-tête papa. Entêtement de merde, entêtement McElroy. Sa mère a du la faire tomber sur la tête bébé, c'est pas possible. J'ai beau l'envoyer sur les roses, elle revient à la charge. Qu'est ce qu'elle veut de moi ? Qu'est ce qu'elle attend de moi ? j'ai rien à offrir ! Sa mère l'a très bien compris, pour ça qu'elle s'est tiré pour revenir quelque années plus tard, me posant le gosse sous le nez. Mais non, la gamine, là, elle me réclame, je capte pas. Je capte pas. « Tu ressembles à ta tante » « Ah ? Parce qu'on est toute les deux zolies ? » « Non, parce que vous êtes toutes les deux des chieuses de merde » Et accessoirement, elles peuvent me tordre en deux, me péter en morceaux. D'autres l'ont fait bien avant elles. Partir, j'en ai ma claque de voir les gens partir mais je sais pas les retenir, je suis nul. Alors je me casse avant tout le monde. Comme ça, c'est bien, c'est nice. « KEALAN ! Parles pas comme ça à ta fille » Ayoyé ! La chieuse McElroy est rentrée. Ma soeur passe dans le salon et me jette un regard noir. Welcome home !

Sauf que maintenant, j'peux plus m'tirer, j'ai plus les jambes assez fortes pour alors j'reste comme un con, immobile. L'armée, elle veut plus de moi ou ce sont mes jambes qui suivent plus. S'enfout le résultat est au même. Je me dessèche à vu d'oeil. Si un Dieu existe au dessus des nuages, qu'il me foudroie, qu'il me tue ! Par pitié ! « Papa ... Tu vas mourir ? » Je soupire, la nanny que ma soeur a embauché, elle peut pas mieux faire son job ? Personne dans ma chambre ! Personne. Surtout pas elle. « Oui et bientôt j'espère, allez file d'ici ! » Je l'entends renifler alors que ses pas foulent le parquet pour chercher sa nanny en quête de consolation. Et à la porte, ma soeur me regarde, peinée, résignée « T'es vraiment un con fini, mon frère » Ouais. con fini. C'bien l'terme.